François Gravel, éditorialiste
Les enfants oubliés du ministre
La nouvelle initiative provinciale visant à offrir des déjeuners scolaires uniquement aux enfants vivant dans les communautés où des œuvres caritatives n’offrent pas déjà le service est désolante. Faire de la politique sur le dos – ou plutôt l’estomac – d’enfants défavorisés? Vraiment? Rarement aura-t-on vu un gouvernement descendre aussi bas.
Le Canada est un pays riche. Malheureusement, ce n’est pas tout le monde qui profite de cette opulence. Les enseignants le savent depuis longtemps. Chaque année, des centaines d’enfants de partout au Nouveau-Brunswick se rendent à l’école sans avoir déjeuné à la maison, sans boîte à lunch et sans argent pour s’acheter un repas à la cafétéria.
À la longue, de nombreuses communautés se sont organisées, sans aucun appui gouvernemental. Nous publions d’ailleurs régulièrement des photos de dons faits à des causes comme Aidons les p’tits bedons dans la section Un peu de tout de l’Acadie Nouvelle. Elles ont agi parce qu’il est inacceptable, en tant que société, de tolérer que des enfants ne puissent pas manger à leur faim, mais aussi au nom de l’égalité des chances. En effet, il est pratiquement impossible d’apprendre en classe avec un estomac qui gargouille.
À compter de 2022, le gouvernement provincial s’est associé avec l’organisme Dépôt alimentaire afin d’offrir aux élèves dans le besoin des aliments sains. L’entente n’impliquait que les écoles réparties dans les trois districts scolaires anglophones de même que celles du District scolaire francophone Sud. Dépôt alimentaire a expliqué ne pouvoir offrir le service dans les régions du Nord en raison de problèmes de logistique.
Notons ici l’indifférence du gouvernement Higgs qui a subventionné un programme pour les jeunes défavorisés sans exiger qu’il soit offert dans tout le Nouveau-Brunswick. Les écoles du Nord ont dû se plaindre et insister que «nos enfants ont faim aussi» pour que des solutions soient mises en place.
Il y a quelques jours, le ministre de l’Éducation, Bill Hogan, a annoncé que le gouvernement versera 2 millions $ afin de fournir des repas dans les écoles. L’initiative sera provinciale au lieu d’être limitée aux écoles du Sud.
Le ministre Hogan a gâché ce qui aurait dû être une nouvelle positive en annonçant que le programme sera réservé aux écoles qui ne jouissent pas déjà de l’aide financière en provenance de la communauté.
C’est proprement scandaleux.
Les organismes comme la Fondation Bob-Fife, dans le Madawaska, et la Fondation des petits déjeuners de la Péninsule acadienne réalisent des miracles. Ils recueillent des fonds, les redistribuent dans les écoles, combattent la pauvreté et font tout ça avec l’aide de bénévoles. La solidarité sociale à son meilleur.
Par contre, ces fondations ne parviennent pas à combler tous les besoins. L’inflation augmente autant le coût des aliments que le nombre de jeunes bénéficiaires des programmes d’aide.
Le gouvernement doit appuyer ces organismes; pas les tenir pour acquis en mettant en place un programme parallèle dans les régions non desservies.
Bill Hogan n’a pas précisé pourquoi il a choisi cette voie. L’explication saute toutefois aux yeux.
Le ministre veut limiter les coûts du programme. La facture de celui-ci s’élève à 2 millions $. Elle serait plus élevée si tous les établissements scolaires étaient admis au programme. C’est d’autant plus vrai que la plupart des écoles situées dans les régions éloignées du Nord francophone obtiennent déjà l’aide de fondations.
Le gouvernement Higgs invite donc les régions les plus pauvres, où les besoins sont les plus criants, à continuer de se débrouiller seules. Il appuiera plutôt celles qui, par manque d’organisation ou parce que la pauvreté est moins visible, n’ont pas mis en place de programmes communautaires.
Ce n’est pas la première fois que Fredericton sacrifie le bien-être des jeunes au profit de sa sacro-sainte quête des mégasurplus budgétaires. Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, il a annulé la remise à neuf d’écoles secondaires et a éliminé le maigre financement qui était accordé au programme Le Maillon qui accompagne les élèves en crise.
En aidant certaines écoles à nourrir les enfants défavorisés et en laissant d’autres à la merci de la générosité de la communauté, Bill Hogan agit de façon honteuse.
Il faut combattre la pauvreté dans les écoles, quelle que soit la région où elles se trouvent. Le gouvernement ne doit pas privilégier celles qui ont la chance d’avoir l’attention et l’empathie du ministre, au détriment de celles qui souffrent de son indifférence.