À bord de leur embarcation, les membres de la Campobello Whale Rescue Team n’hésitent pas à mettre leur vie en danger pour porter secours aux mammifères marins empêtrés dans des engins de pêche. Rares sont les personnes autorisées à participer à cet exercice périlleux, mais l’équipe peut désormais compter sur de nouvelles recrues dans la Péninsule acadienne.

Créée il y a 20 ans par des pêcheurs de l’île Campobello, l’organisation est venue en aide à une quarantaine de cétacés dans les eaux des Maritimes, du Golfe du Saint-Laurent et de la Nouvelle-Angleterre.

Son cofondateur, Mackie Greene, est l’un des cinq experts en désempêtrement reconnus par Pêche et Océans Canada. Seule une poignée d’individus très expérimentés ont la permission d’approcher une baleine noire, qui peut peser jusqu’à 63 500 kilogrammes et mesurer jusqu’à 16 mètres.

Les engins de pêche récupérés sont systématiquement analysés par Pêche et Océans qui tente d’en retracer l’origine. – Gracieuseté Alison Ogilvie du MPO

«C’est dangereux, en raison de la taille et de l’imprévisibilité des baleines. Il y a le risque d’être pris dans les cordages, que le bateau frappé soit renversé», reconnaît le sauveteur.

Pas question pour lui de s’arrêter pour autant.

«Je suis accro à l’adrénaline, blague-t-il. Il n’y a pas de plus belle émotion que de voir une baleine s’en aller librement et de la revoir à nouveau une année ou deux après!»

 

 

Moira Brown, directrice scientifique du Canadian Whale Institute, participe elle aussi régulièrement aux missions.

«Quand tu fais cette dernière coupe et que la baleine nage librement, tu as l’impression de pouvoir courir sur l’eau tellement l’excitation est grande», confie la biologiste.

Chaque sauvetage est un grand travail d’équipe. «Vous avez un membre de l’équipe à la direction du bateau, une personne à l’avant qui manipule une perche équipée de lames adaptées pour couper les cordages, une personne qui l’assiste en préparant l’équipement ou au moment de contrôler l’animal et une quatrième qui documente tout, qui prend des photos et des vidéos et communique avec l’avion du ministère qui nous aide à localiser la baleine.»

L’intervention se transforme souvent en long jeu du chat et de la souris. L’équipe doit parfois accrocher des bouées supplémentaires aux cordages pour fatiguer, ralentir le mammifère et le retrouver plus rapidement. Selon la météo et le comportement de l’animal, cela peut prendre plusieurs jours voire plusieurs semaines.

«Par moment, les choses se passent très vite, mais il y a aussi beaucoup d’attente parce que les baleines passent le plus clair de leur temps sous l’eau. Lorsqu’elles refont surface, vous n’avez que quelques secondes pour agir et vous concentrer pour couper le cordage», décrit Mackie Greene.

La manœuvre nécessite une vigilance extrême. Tous ont en mémoire la tragédie de juillet 2017, lorsqu’un pêcheur membre de l’équipe, Joseph Howlett, a perdu la vie dans le golfe du Saint-Laurent en dégageant une baleine noire prise dans des filets. La queue de l’animal l’a atteint mortellement. À la suite de l’incident, le MPO avait envisagé de révoquer les permis des groupes de sauvetage et un moratoire sur ce type d’opération a été maintenu pendant plusieurs mois.

Malgré le drame, la détermination des amis de Joseph Howlett n’a pas faibli. Ils tentent désormais de maintenir une plus grande distance avec l’animal et peuvent compter sur un soutien accru des autorités fédérales, ce qui leur a permis d’acheter un nouveau bateau et de meilleurs outils.

Tout faire pour sauver les dernières baleines

Le dernier fait d’armes marquant de ces sauveteurs des mers remonte à mai 2021. Au large de Miscou, ils sont parvenus à retirer une partie du cordage que traînait depuis plusieurs semaines une baleine noire femelle, nommée Snow Cone. En 2020, le cétacé avait perdu son nouveau-né après une collision avec un navire.

Des cordages de pêche enserrent la tête et la bouche de cette baleine, endommageant les fanons de l’animal photographié en août 2018 dans le golfe du Saint-Laurent. – Gracieuseté Nick Hawkins

Toujours handicapée par des engins de pêche, Snow Cone est parvenue à migrer jusqu’aux eaux chaudes de la Géorgie où elle a accouché en décembre. Les voilà en chemin vers le nord, le baleineau et sa maman ont été aperçus pour la dernière fois le 24 avril au large du Massachusetts. Les sauveteurs espèrent que la baleine pourra bientôt être libérée des derniers cordages, mais la présence de son petit rend la tâche trop risquée.

Toutes n’ont pas eu la chance de cette rescapée. L’an dernier, deux décès de baleines noires de l’Atlantique Nord ont été constatés dans les eaux américaines, l’un à la suite d’un choc contre un bateau, l’autre à cause d’engins de pêche. À l’automne dernier, le North Atlantic Right Whale Consortium évaluait leur nombre à 336, contre 366 l’année précédente.

 

 

Une nouvelle équipe basée à Shippagan

Alors que le Golfe du Saint-Laurent est désormais plus fréquenté par la baleine noire, l’Association des pêcheurs professionnels crabiers acadiens (APPCA) a mis sur pied son propre groupe de sauveteurs.

Ils disposent depuis l’été dernier d’un bateau entreposé au port de Shippagan, idéalement situé pour intervenir de la côte est du Nouveau-Brunswick jusqu’à la Gaspésie.

«Chaque heure, chaque jour compte, ça leur permet de mener des interventions très rapidement», souligne Paul Robichaud, chargé de projets de l’APPCA.

Nommée Équipe de désempêtrement du Golfe, elle est composée uniquement de bénévoles formés par la Campobello Whale Rescue Team. «Ce sont des crabiers, des homardiers, des pompiers volontaires, des gens de la communauté. Sept personnes ont reçu la formation et nous prévoyons former une autre cohorte de sept en août», détaille M. Robichaud.

«On veut que les pêcheurs s’impliquent, mais on encourage aussi les gens qui ne sont pas du domaine de la pêche et qui ont à coeur de la préservation de la baleine à faire partie de notre équipe, pour être aussi efficace lors de la saison de pêche.»

Ses membres n’ont pas encore participé à suffisamment de sauvetages pour pouvoir opérer de façon autonome. L’initiative facilite tout de même la tâche de l’équipe de Campobello qui dispose de tout le matériel dont elle a besoin à Shippagan et n’a plus à rassembler de l’équipement et transporter son embarcation jusqu’à la Péninsule.

Mackie Greene et Moira Brown lors d’une de leurs missions. – Gracieuseté Nick Hawkins

 

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