Lettre au ministre de la Santé.

La politisation et la centralisation (bureaucratisation) progressive du système de santé mise en place au N.-B. au cours des 30 dernières années ont eues pour résultats que les patients soient devenus des numéros, des diagnostics ou des statistiques pour les bureaucrates. Ces derniers sont devenus sourds à la voix des citoyens. L’initiative professionnelle et la participation des soignants sont ignorées; la médiocrité administrative est la règle et la non-performance récompensée: moins on traite de patients mieux le budget se porte. Voici quelques exemples de politisation et centralisation toxiques.

Il y a quelques semaines, un représentant de Medavie expliquait à Radio-Canada que les dirigeants attendaient la mise en place du nouveau gouvernement avant de prendre une décision sur les délais de réponses aux appels 911 pour les ambulances de Saint-Quentin. Est-ce normal qu’une compagnie privée, grassement rémunérée, en principe responsable du dossier des ambulances, qui se vante d’avoir une expertise exceptionnelle dans le domaine des ambulances, doive attendre le choix du nouveau premier ministre pour prendre une décision technique? Décision pourtant simple, même pour le commun des mortels: séparer les transferts non urgents des appels 911. Était-ce vraiment une décision de premier ministre? Le personnel de Medavie est-il incompétent ou n’a-t-il tout simplement pas l’autorité pour décider? Se pourrait-il que politiciens et bureaucrates continuent de gérer les ambulances et l’Extra-mural et que Medavie soit seulement un prête-nom, un écran pour la politicaillerie? Grenouillage plus important pour eux que la sécurité des citoyens et la qualité des services de santé?

La recherche en santé a démontré depuis longtemps que la participation des patients à leurs soins avec une équipe interdisciplinaire et une utilisation intelligente des nouvelles technologies (communication, intelligence artificielle, télésanté, etc.) améliorent la qualité des soins, la sécurité des patients et diminuent les coûts: moins de retours à l’urgence, moins d’hospitalisation, meilleure utilisation des médicaments, interventions moins lourdes et meilleure santé. Il faut bien sûr un investissement initial, on ne peut pas encaisser de dividendes avant d’investir.

Pourquoi est-ce qu’on ne le fait pas? Parce que les décisions sont prises par les bureaucrates à Fredericton; loin des patients et des réalités de la vie. Pour répondre aux besoins des politiciens avec l’horizon de la prochaine élection. Parce qu’ils veulent garder le pouvoir et disent non à toute idée qui n’est pas la leur. Parce que ce sont des bureaucrates, pas du personnel soignant ni des gestionnaires de la santé.

D’un autre côté, le Conseil d’administration (CA) et le PDG ne vont pas réagir. En fait, le PDG (quel qu’il soit) est le commis du ministre et fait partie de la bureaucratie centrale. Le CA n’a aucune autorité sur le PDG ou le Réseau. D’ailleurs, l’ancien ministre de la Santé, Benoît Bourque ne s’est pas gêné pour dire (Acadie Nouvelle du 19 octobre 2017): «Le PDG d’un réseau de santé est embauché et je dirais même congédié par le ministre de la Santé. Il sert au bon plaisir du ministre lui-même, c’est une chose à clarifier.» Est-ce assez clair? Les lois et règlements actuels semblent lui donner entièrement raison. C’était sa réponse au CA et au PDG de Vitalité qui avaient osé contester la privatisation du Programme extra-mural.

L’avant-dernier PDG a essayé de prendre ses responsabilités et gérer le Réseau en fonction des besoins de la population, en améliorant l’efficience et en respectant la langue et la culture des patients. Il réussissait parfaitement dans les trois domaines; on sait ce qui lui est arrivé, on l’a congédié.

Le sous-ministre de la Santé, le PDG du réseau anglophone (Horizon) et le PDG de Facilicorps (maintenant service NB) ont signé des affidavits fondés sur des arguments spécieux et futiles pour demander son congédiement. En toute honnêteté, il faut reconnaitre qu’il y avait aussi un nom francophone. L’affaire s’est retrouvée en cour et le juge a condamné le gouvernement pour cette injustice. L’ex-PDG a reçu une compensation financière, mais sa réputation a été souillée.

Malheureusement, la structure de gestion est demeurée la même: la médiocrité est au pouvoir, l’arrogance envers les patients reste aussi haute, la place des francophones prend du recul et le futur est plus incertain avec la structure de gouvernance actuelle.

Le plus navrant dans cette histoire est peut-être qu’un premier ministre et un ministre de la Santé, tous deux francophones, ont appuyé ces bureaucrates anglophones dans une vendetta anti-francophone bassement partisane. Les francophones en place ont très bien compris que la même chose pourra leur arriver, s’ils osent lever la tête. C’est peut-être l’explication de la signature francophone sur les affidavits.

Un autre exemple de la médiocrité administrative: en octobre, il y avait environ 450 patients dans les hôpitaux en attente pour un placement dans un autre niveau de soins. Cela représente un gros hôpital. Le problème existe depuis des années. Tous les gestionnaires de la santé connaissent les solutions: la technologie, les équipes interdisciplinaires, la participation structurée des patients et des familles, les services à domicile, quelques lits de foyer de soins et certains services ambulatoires de proximité, mais la bureaucratie ne peut pas supporter l’idée que les professionnels (médecins et autres), qui sont les vrais experts en santé, puissent avoir raison et participer aux solutions. Pour la forme, on leur demande parfois leurs avis, mais le fricotage bureaucratique a toujours la préséance. Ne vous demandez pas pourquoi il y a tant de grogne, d’insatisfaction, de dépression et de «burnout» parmi les professionnels de la santé: ils font les frais au quotidien des inepties gouvernementales et ils ne peuvent rien y faire.

Une autre inefficience qui découle de ce type de gestion: c’est le ratio personnel non-soignant versus le personnel soignant qui est très élevé. Il faut une grosse bureaucratie pour contrôler tout le monde, c’est bien connu des dictatures. La conséquence est qu’une part disproportionnée de la masse salariale va à des postes de contrôle plutôt qu’à du personnel de soins. Il y a ici des économies substantielles à faire.

Depuis plusieurs années, les bureaucrates de Fredericton rêvent de regrouper le plus grand nombre possible de services dans seulement quelques centres; comme par hasard situés dans le sud anglophone. Une aberration bureaucratique et financière. Ce plan forcera des dizaines de milliers de patients à se déplacer à grands frais, dans de mauvaises conditions (maladie, climat, hébergement, moyen de transport, accompagnateurs…) pour réaliser le rêve de bureaucrates déconnectés du monde ordinaire. Le coût humain et financier sera énorme pour les patients, mais aussi pour la province. Nous (je ne suis pas seul) savons par expérience que cette approche sera plus coûteuse que les services offerts par les petits hôpitaux avec des services à domicile et en communauté. Les bureaucrates veulent fermer les petits hôpitaux. Ils savent qu’on ne pourra pas les rouvrir s’ils réussissent à les fermer. Ils veulent aussi enlever des services aux hôpitaux régionaux de taille moyenne (3 sur 4 sont francophones): Edmundston, Campbellton et Bathurst. Est-ce par incompétence, manque d’imagination ou myopie professionnelle?

Ce plan qui augmentera les coûts financier et humain est contraire à l’esprit du système de santé canadien. Le système a été bâti pour que les coûts ne soient pas un obstacle à la santé.

Avec un investissement par habitant semblable, ou supérieur, à plusieurs pays occidentaux, le Canada, qui inclut le N.-B. bien sûr, a les périodes d’attente parmi les plus longues. Ce seul fait devrait faire réfléchir les décideurs.

Les écarts de traitement entre les réseaux de santé anglophone et francophone par les bureaucrates et les politiciens peuvent faire l’objet d’un article plutôt explosif. Si on en juge par le cas du PDG congédié, il ne faudra pas se fier aux politiciens francophones pour corriger la situation. On ne va pas élaborer là-dessus pour le moment, c’est déprimant. La gouvernance doit être changée.

On n’y arrivera sûrement pas avec un PDG à la solde du ministre et un CA d’opérette. La solution comprend plusieurs volets très étroitement associés si on veut obtenir les résultats escomptés. Il faut:

  • Un ensemble de services défini par le gouvernement

Une vraie gouvernance: autorité, imputabilité, responsabilité. Ces trois aspects sont indissociables. Ce sont les attributs essentiels d’un citoyen libre, d’une personne morale ou d’une entreprise dans un pays démocratique. Le Réseau actuel n’a pas de gouvernance propre, il est sous la tutelle du ministre de la Santé; l’ancien ministre Bourque l’a énoncé très clairement.

  • Un CA bénévole

Le territoire de desserte doit correspondre à un ensemble de citoyens partageant des valeurs communes et ayant déjà des liens sociaux et organisationnels (on ne donne pas d’exemple ici pour ne pas avoir l’air biaisé). La structure municipale est un point de départ pour définir les frontières.

La sélection des membres du CA devra respecter les principes fondamentaux de la démocratie.

Comme c’est un service public, le CA sera imputable au public selon des règles claires et objectives et à l’abri de l’arbitraire politique et bureaucratique.

Le CA choisira son PDG et des balises claires et logiques délimiteront les champs de compétence du CA et du PDG.

Un organisme sans but lucratif fournira les services de santé pour chaque territoire.

  • Un système de mesures rigoureux

Standardisé pour l’ensemble de la province, avec des données auditées, géré par des experts indépendants qui présenteront à intervalles réguliers des rapports publics et comparatifs sur la qualité, l’efficacité et l’efficience, tant clinique que financière, de toutes les parties de la province. Ce comité d’experts devra être à l’abri de l’arbitraire des politiciens et des bureaucrates. Avec un tel système, la province aura une image exacte de la performance du système de santé.

  • Une participation de la population

Via des comités consultatifs de patients et de familles sur l’organisation des services et la mesure de leur qualité; cet élément fait partie des normes d’Agrément Canada qui lui accorde une très grande importance.

  • Une participation du personnel et des médecins

À la planification des services, l’amélioration continue de la qualité, la gestion des risques, la mesure de la performance et autres volets de la prestation des soins. Ce sont eux qui, par leur façon de pratiquer, vont nous permettre d’atteindre une plus grande performance, une meilleure qualité et diminuer les coûts. Pour cela il faut une gouvernance proche de l’action et un leadership mobilisateur; deux choses hors de la portée d’une bureaucratie froide et centralisée. Nous connaissons plusieurs de ces professionnels et nous savons que si on leur en donne la chance ils travailleront très fort pour atteindre l’excellence.

  • Une transparence absolue

Sauf pour les dossiers des patients et des employés.

Un poste d’ombudsman de la santé sera créé. Toutes les plaintes devraient lui être adressées. Elles seraient traitées de façon plus objective et complèteraient le tableau sur l’état du système de santé.

  • Les services doivent être financés à l’acte

Le système actuel avec le budget historique est la principale cause des listes d’attente. Un patient qu’on ne voit pas ne coûte rien. On semble se ficher des souffrances (mentales et physiques), des pertes de revenus et de toutes les conséquences que ces retards peuvent causer aux personnes. Ces économies à court terme coûtent cher à long terme: perte de productivité, multiplication des suivis médicaux, interventions finalement plus coûteuses, plus grande consommation de médicaments et risque accru de dépendance aux narcotiques, etc.

  • S’inspirer des 12 déterminants de la santé pour planifier et gérer la santé

La Suède est un modèle à suivre et planifie ses services de cette façon.

Le personnel actuel, au ministère et dans les Réseaux, pourrait faire un excellent travail si on les plaçait dans un système structuré différemment. Un système où ils auraient plus d’autonomie avec des missions claires. Ils seraient mesurés en fonction de ces missions et ils seraient responsables des résultats.

Bref, des solutions concrètes existent, on y a fait allusion plus haut. On ne va pas élaborer plus pour le moment. On ne va pas non plus chercher des coupables ou faire la genèse du désastre. C’est le système lui-même, tel qu’il a été construit, qui conduit à cette médiocrité et à cette inefficience. Il faut le réformer en utilisant les données de la science.

Enfin l’absence de gouvernance locale actuelle, en plus d’être un mauvais système de gestion, est une menace directe et majeure à la survivance des francophones. Avec leur langue et leur culture, ils ont une approche originale qui enrichira l’expertise en santé au N.-B.. La collaboration des deux cultures créera de la lumière.

Espérons que les décideurs saisiront cette occasion de mettre le système sur de nouvelles bases porteuses d’avenir. Ils passeront à la postérité comme des bienfaiteurs éclairés s’ils mettent à contribution ces milliers de professionnels empêtrés dans un système tatillon et opprimant.

Vous pouvez faire quelque chose: joignez-vous à un comité de sauvegarde de votre hôpital local et militez pour les services qui devraient y être ajoutés.

Louis-Marie Simard
Cocagne

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