En cette année marquant le cinquantième anniversaire de l’adoption de la première loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick et plus de 17 ans après la création du Commissariat aux langues officielles, il est surprenant de constater que le premier ministre de la seule province officiellement bilingue au Canada ne semble pas comprendre l’objet de la loi, le mandat du Commissaire aux langues officielles et le processus de sa nomination.

Abordons tout d’abord le poste de Commissaire aux langues officielles. L’article 43 de la Loi sur les langues officielles crée le Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick et le poste de Commissaire aux langues officielles. Il est exact que c’est le lieutenant-gouverneur en conseil, donc le cabinet, qui nomme le Commissaire sur la recommandation de l’Assemblée législative. Or, avant de procéder à sa nomination, un comité de sélection est constitué aux fins de désigner des candidats compétents pour le poste. Le comité de sélection se compose, selon la Loi, du greffier du Conseil exécutif ou de la personne qu’il désigne, du greffier de l’Assemblée législative ou de la personne qu’il désigne, d’un membre de la magistrature et d’un membre de la communauté universitaire.

Ce comité de sélection, après avoir procédé à un appel de candidatures et avoir fait des entrevues, dresse une liste de candidats compétents et la remet au lieutenant-gouverneur en conseil. Après avoir reçu cette liste, le premier ministre consulte le chef de l’Opposition et les chefs des autres partis politiques représentés à l’Assemblée législative au sujet d’un ou de plusieurs candidats compétents dont les noms figurent sur la liste. Aucune disposition de la Loi ne spécifie le temps que doit prendre le comité de sélection pour remettre sa liste. Or, puisqu’il est prévu dans la Loi que le mandat d’un Commissaire par intérim ne doit pas être pour plus d’une année, nous pouvons en déduire que le nouveau commissaire doit être nommé à l’intérieur de cette année.

Bien que nous puissions conclure que la mise en place du comité relève du premier ministre qui est le ministre responsable de la Loi, rien dans la Loi ne l’autorise à mettre fin aux travaux du comité une fois que celui-ci a été constitué. Il ne faut pas oublier que ce comité est un comité de sélection indépendant. On peut ainsi déduire que la seule circonstance qui permettrait au premier ministre de relancer le processus de sélection serait si le comité conclut qu’aucun candidat n’a les compétences requises pour occuper le poste.

Une fois les travaux de ce comité complété et la liste soumise au lieutenant-gouverneur en conseil, l’obligation pour le premier ministre est de choisir un candidat à partir de cette liste de candidats compétents et consulter le chef de l’Opposition et les chefs des autres partis politiques représentés à l’Assemblée législative, même si aucun des candidats compétents ne fait partie de ceux qu’il aurait personnellement aimé choisir. Le processus prévu dans la loi existe parce que le Commissaire n’est pas à l’emploi du gouvernement, mais il est un fonctionnaire de l’Assemblée législative. Le poste est donc indépendant du gouvernement, des différents ministères et des autres institutions gouvernementales.

Voilà pourquoi, j’ai été surpris lorsque le premier ministre Higgs a annoncé qu’il mettait fin au processus de sélection en cours. Aucune des explications qu’il a données ne justifie légalement cette décision. Selon mes informations, plusieurs candidats avaient été appelés en entrevue et le comité était bien en deçà des 12 mois qu’il avait pour remettre sa liste de candidats compétents au lieutenant-gouverneur en conseil. De plus, puisque le premier ministre déclarait n’avoir reçu aucun rapport du comité, comment peut-il affirmer qu’il n’y avait pas suffisamment de candidats pour choisir un candidat compétent? Comment peut-il juger de la compétence de ceux et celles qui ont été invités en entrevue? Sur quelle disposition de la Loi s’appuie-t-il pour prendre cette décision?

La décision du premier ministre de mettre fin aux travaux de ce comité et de relancer le processus de sélection est, à mon avis, en violation de la Loi. Elle remet en question l’indépendance du comité de sélection, la crédibilité du prochain commissaire qui pourrait être considéré comme le candidat du gouvernement et l’intégrité de la Loi sur les langues officielles. Cette situation devrait être inquiétante pour ceux et celles qui s’intéressent encore aux droits linguistiques au Nouveau-Brunswick.

Une autre source d’inquiétude dans les propos du premier ministre est son commentaire concernant le mandat du Commissaire aux langues officielles.

Le premier ministre semble croire qu’il relève du mandat du commissaire de s’occuper et de trouver des solutions aux difficultés que connait le système scolaire anglophone à produire des étudiants bilingues. Pourtant le mandat du Commissaire est bien expliqué dans la Loi. Son rôle est d’enquêter, de présenter des rapports et de formuler des recommandations visant le respect de la loi et de promouvoir l’avancement des deux langues officielles dans la province.

Le commissaire peut s’intéresser aux questions portant sur le niveau de bilinguisme de la population de la province, mais ce n’est pas son rôle ni de son expertise de proposer des solutions pour améliorer les programmes d’enseignement de langue seconde dans les écoles de la province. Ce rôle revient au ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance et au gouvernement.

Finalement, je crois qu’il est important de rappeler non seulement au premier ministre, mais également à plusieurs intervenants acadiens, que l’objectif de la Loi sur les langues officielles n’est pas de rendre tous les citoyens de la province bilingues. Apprendre une seconde langue est le choix de l’individu. Personne ne force qui que ce soit à le faire. D’ailleurs, le premier ministre Robichaud l’avait clairement indiqué lors de l’adoption de la première loi sur les langues officielles, lorsqu’il affirmait que «sur le plan individuel, chacun a le droit d’être et de rester unilingue.»

L’objectif que tous les citoyens de la province ou du pays soient bilingues est nobles, mais irréaliste. Il y aura toujours des individus qui seront réfractaires pour diverses raisons à l’idée d’apprendre une autre langue et c’est leur droit.

L’objectif de la Loi sur les langues officielles est d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles, d’assurer l’égalité de statut et l’égalité de droits et de privilèges du français et de l’anglais quant à leur usage dans toutes les institutions de la province et de préciser les pouvoirs ainsi que les obligations des institutions de la province au regard des deux langues officielles.

Son objectif est donc de régir la relation des institutions de la province avec les citoyens dans le respect de leur langue officielle que ces citoyens soient unilingues ou bilingues

Ceci étant dit, je suis conscient que le dossier des langues officielles intéresse de moins en moins de gens, je tiens donc à m’excuser de continuer à radoter sur le sujet.

Michel Doucet
Avocat
Moncton

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