Fantasmes nucléaires
J’ai lu l’article Petits réacteurs nucléaires, planche de salut pour l’économie du N.-B.? avec un certain amusement. Le journaliste Justin Dupuis a dressé un portrait intéressant des dirigeants de jeunes entreprises de l’industrie nucléaire aux fantasmes débridés. L’un d’eux est à décider s’il doit construire son usine de réacteurs nucléaires près de Saint-Jean ou de Dalhousie ou de Belledune. Vraiment?
L’article note à juste titre qu’aucune entreprise n’a encore réussi à mettre sur le marché un petit réacteur modulaire (PRM). En fait, le PRM le plus avancé est le modèle NuScale aux États-Unis. Jusqu’à présent, la conception du NuScale a coûté plus de 1,5 milliard $ et a pris plus de 15 ans. Le coût de construction du réacteur nucléaire NuScale, estimé à 3,7 milliards $ en 2017, devait passer à 6,1 milliards $ en 2020. Les plans ont récemment été retardés de trois ans supplémentaires et les communautés clientes se retirent du projet.
Le grand défi technique est que les PRM, comme tous les réacteurs nucléaires, créeront des éléments radioactifs mortels qui devront être confinés en toute sécurité. Depuis les multiples effondrements de réacteurs nucléaires à Fukushima au Japon, il y a dix ans, les exigences techniques, de sûreté et de sécurité sont devenues de plus en plus complexes et coûteuses pour les nouvelles constructions de réacteurs nucléaires.
Les deux entreprises du N.-B. auront besoin d’au moins deux milliards de dollars chacune pour construire leur prototype, et personne ne sait d’où viendra cet argent. Le ministre Mike Holland a déclaré que l’argent doit venir du secteur privé, mais les investisseurs privés ne sont prêts à contribuer qu’à une petite fraction de ce qui sera nécessaire en raison du risque financier. Les entreprises nucléaires veulent que les contribuables contribuent aux milliards qui seront nécessaires, mais elles se heurtent à une opposition considérable.
Je suis cité dans l’article par opposition aux PRM. Mon groupe – la Coalition pour un développement énergétique responsable au Nouveau-Brunswick (CRED-NB) – est l’un des plus de 100 groupes d’intérêt public au Canada qui ont signé une déclaration publique demandant au gouvernement fédéral de ne pas financer les PRM, les qualifiant d’une «distraction polluante et dangereuse», face à la crise climatique.
En fin de compte, l’obtention d’un financement public pour les réacteurs nucléaires proposés nécessitera un soutien politique. L’article mentionne que le Parti vert du Nouveau-Brunswick s’y oppose. Au niveau fédéral, les Verts, le NPD et le Bloc Québécois s’y opposent également.
La déclaration du Bloc Québécois est particulièrement cinglante à propos des PRM. «Le fédéral conduit le Canada vers un mur en misant sur le nucléaire comme forme d’énergie propre, ce qu’il n’est absolument pas. On doit le répéter: l’avenir passe par les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.»
«L’argent des contribuables ne doit pas servir à financer le nucléaire… le fédéral doit abandonner cette stratégie polluante, potentiellement dangereuse et préjudiciable envers le Québec», déclare le Bloc.
C’est une année électorale au fédéral et les libéraux ont besoin de plus de sièges au Québec, qui a fermé sa seule centrale nucléaire il y a dix ans après des protestations publiques. Il serait insensé de croire que les milliards de dollars nécessaires à la construction des centrales nucléaires du N.-B. vont apparaître d’ici peu.
Susan O’Donnell, PhD
Fredericton