Pierre Elliot Trudeau a interdit le processus d’extraction du plutonium du combustible nucléaire usagé au Canada. Aujourd’hui, Justin Trudeau lève l’interdiction sous un écran de fumée et un double discours.

Le ministre fédéral des Ressources naturelles, Seamus O’Regan, qualifie le plan de plutonium de «recyclage» du combustible usé, et notre ministre des Ressources naturelles et Développement de l’énergie, Mike Holland, en fait la promotion au Nouveau-Brunswick. L’étiquette insipide de «recyclage» pour un processus sale et dangereux s’aligne sur l’image de marque du gouvernement qui présente l’énergie nucléaire comme une «énergie propre».

Le plutonium est la principale matière nucléaire explosive des arsenaux d’armes nucléaires dans le monde. Cependant, le plutonium peut aussi alimenter les réacteurs nucléaires, et l’industrie nucléaire canadienne n’a jamais perdu de vue son rêve d’utiliser le plutonium comme combustible dans notre pays. Aujourd’hui, l’industrie développe son fantasme au Nouveau-Brunswick.

Dérivé de l’uranium qui n’existe pas dans la nature, le plutonium est l’une des nombreuses matières radioactives créées dans chaque réacteur nucléaire alimenté en uranium. Au Nouveau-Brunswick, le combustible usé du réacteur CANDU actuel de Point Lepreau est stocké sur place dans des silos en béton temporaires et vieillissants.

L’extraction du plutonium des barres de combustible usé de Pointe Lepreau est un élément clé de la conception d’un des deux réacteurs nucléaires expérimentaux du Nouveau-Brunswick. Selon ce plan, le plutonium extrait serait transformé en combustible pour le nouveau réacteur. Le plan du Nouveau-Brunswick concernant le plutonium s’écarte nettement de la pratique actuelle au Canada.

Les pays qui extraient ou séparent le plutonium du combustible usé des réacteurs nucléaires – que ce soit à des fins militaires ou commerciales – doivent faire l’objet d’une surveillance spéciale de la part de l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Seule une poignée de pays le font commercialement: le Royaume-Uni, la France, l’Inde, le Japon et la Russie. La Chine devrait commercialiser le procédé d’ici 2025. Ajouter le Canada à cette liste serait une étape importante dans les relations internationales. Et pourtant, le Nouveau-Brunswick prévoit de le faire, sans aucun débat parlementaire national.

Le lien entre les armes nucléaires et l’énergie nucléaire est fort, mais rarement reconnu. Les premiers réacteurs nucléaires ont été construits non pas pour produire de l’électricité, mais plutôt pour produire du plutonium pour les bombes. De 1945 à 1965, le Canada a fabriqué du plutonium à Chalk River et l’a vendu à l’armée américaine pour la fabrication de bombes.

En 1974, l’Inde a fait exploser sa première bombe atomique en utilisant du plutonium créé dans un réacteur nucléaire canadien, un cadeau du Canada. Plusieurs années plus tard, l’extraction de plutonium à partir de combustible nucléaire usagé a été interdite par l’administration Carter aux États-Unis et par la première administration Trudeau au Canada.

La Corée du Sud et Taïwan se sont également vu interdire (sous la pression des États-Unis) de le faire.

Pourquoi les États-Unis et le Canada ont-ils interdit ce système de «recyclage»? Pour deux raisons: il est très dangereux et polluant d’«ouvrir» le combustible nucléaire usé afin d’en extraire le plutonium désiré; et l’extraction du plutonium crée un trafic civil de matériaux très dangereux qui peuvent être utilisés par des gouvernements, des criminels ou des terroristes pour fabriquer de puissantes armes nucléaires sans avoir besoin d’une infrastructure terriblement sophistiquée ou facilement détectable.

Le design du Nouveau-Brunswick est la propriété de Moltex Energy, une start-up britannique ayant un bureau à Saint John. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a donné 5 millions $ à Moltex, en 2018, pour développer sa conception.

En 2020, les Laboratoires nucléaires canadiens (LNC), financés par le gouvernement fédéral, ont financé Moltex pour mener des recherches sur le combustible avec l’Université du Nouveau-Brunswick. L’entreprise attend maintenant des nouvelles de sa demande pour un montant estimé à 50 millions $ du Fonds d’innovation stratégique d’Innovation, Sciences et Industrie Canada.

La conception de Moltex comprend un réacteur nucléaire et une installation de séparation du plutonium. Le processus expérimental est appelé «pyroprocessing.» Le procédé consisterait à dissoudre le combustible usé du réacteur de Point Lepreau dans du sel fondu très chaud, à séparer le plutonium et les autres éléments fissiles à l’aide d’électrodes et à le transformer en nouveau combustible pour le réacteur nucléaire proposé.

Les États-Unis ont empêché la Corée du Sud d’utiliser cette même technologie pendant de nombreuses années en raison du danger très réel de stimuler la prolifération des armes nucléaires.

Le Canada devrait-il prendre l’initiative de défaire le régime mondial de non-prolifération, qui est déjà chancelant et risque de se désintégrer?

Le Canada doit avoir une politique claire, débattue au Parlement, sur l’extraction du plutonium du combustible nucléaire usé. Nous pourrions suivre la logique du travail du Canada pour obtenir un traité sur l’interdiction des matières fissiles qui interdirait la production de plutonium à des fins d’armement. Puisque tout le plutonium peut être utilisé pour des armes, il serait souhaitable d’interdire tout type de retraitement.

Il est intéressant de noter que la deuxième conception de réacteur nucléaire proposée pour le Nouveau-Brunswick soulève également des préoccupations quant à la prolifération des armes nucléaires. En 2018, le Nouveau-Brunswick a également donné 5 millions $ à une entreprise américaine, ARC Nuclear, qui a également un bureau à Saint John, pour développer sa technologie à Point Lepreau. En février de cette année, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a annoncé l’octroi d’un autre montant de 20 millions $ à l’entreprise ARC pour développer son concept. La première tranche de 5 millions $ de ce dernier don a été remise à ARC sans aucune condition, selon le ministre Holland.

La conception de l’ARC-100 propose d’utiliser de l’uranium enrichi à des niveaux de 10,1%, 12,1% et 17,2% – en même temps. Ces niveaux d’enrichissement sont inhabituellement élevés, jamais vus auparavant dans un réacteur commercial exploité en Amérique du Nord. L’industrie canadienne de l’uranium ne peut fournir d’uranium enrichi d’aucune sorte. L’enrichissement de l’uranium est une technologie très «sensible».

Lorsque l’Iran a annoncé récemment qu’il enrichissait de l’uranium à 20%, le monde entier s’est alarmé en raison des craintes de prolifération des armes nucléaires. L’accord sur le nucléaire iranien, négocié sous Obama, mis à la poubelle par Trump et peut-être ressuscité par Biden, oblige l’Iran à ne pas enrichir l’uranium au-delà de 3,67%, ce qui est similaire au combustible enrichi utilisé dans les réacteurs américains.

Mais les promoteurs de l’ARC ne se limitent pas à l’uranium enrichi à des niveaux inhabituellement élevés; ils affirment également qu’ils pourraient choisir d’utiliser le plutonium extrait des déchets nucléaires américains, ou même d’utiliser les matières fissiles explosives retirées des têtes nucléaires démantelées.

Cette dernière affirmation rappelle la débâcle de 1996, lorsque le premier ministre Jean Chrétien a proposé d’importer du plutonium militaire de l’URSS et des États-Unis pour le «brûler» dans des réacteurs CANDU à la centrale nucléaire de Bruce, en Ontario. EACL était très intéressée par cette proposition, car elle avait perdu une offre en 1977 pour construire une usine de retraitement au Canada dans le but de «recycler» le plutonium provenant du combustible usé des réacteurs CANDU.

À l’époque, l’idée de faire venir du plutonium de qualité militaire de l’URSS et des États-Unis a suscité une protestation nationale avec une importante couverture médiatique, des réunions publiques dans de nombreuses villes canadiennes et un procès devant la cour fédérale américaine. Les protestations ont permis d’arrêter le projet de combustion de plutonium CANDU.

Et maintenant, l’extraction de plutonium et peut-être l’importation de plutonium sont à nouveau proposées, au Nouveau-Brunswick.

Jusqu’à présent, il n’y a eu aucune consultation publique, aucun débat parlementaire, en fait aucun processus démocratique ouvert pour que les Néo-Brunswickois ou tous les Canadiens puissent connaître les faits et les implications de la proposition du Nouveau-Brunswick et décider si le Canada doit s’engager dans cette voie.

Nous exhortons le Canada à donner à ce plan une surveillance parlementaire à Ottawa, sans délai. Entre-temps, le premier ministre Higgs devrait pousser la pause, maintenant, sur notre plan de plutonium.

Susan O’Donnell
Chercheuse spécialisée dans l’adoption des technologies et les questions environnementales à l’Université du Nouveau-Brunswick à Fredericton

Gordon Edwards
Scientifique, consultant nucléaire et président du Regroupement pour la surveillance du nucléaire

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