Les parents de tout-petits s’inquiètent ces jours-ci des pénuries de préparations pour nourrissons en raison d’une combinaison de facteurs. L’origine du problème est le rappel qui a eu lieu, le 17 février dernier.

Abbott, le plus grand fabricant de préparations pour nourrissons aux États-Unis, a volontairement rappelé ses produits fabriqués à Sturgis au Michigan. Quatre nourrissons étaient tombés malades d’infections bactériennes. Deux bambins seraient morts après avoir consommé du lait maternisé possiblement produit dans l’usine.

Rien n’est clair. Même un rapport d’un lanceur d’alerte avait été soumis l’année dernière à la FDA sur ce qui se passait à Abbott au Michigan.

Abbott nie tout, sur la base de preuves que l’entreprise a elle-même recueillies. Vu la gravité de la pénurie à travers le continent, surtout pour les préparations lactées hypoallergéniques, la réouverture de l’usine sera devancée et pourrait redémarrer d’ici deux semaine. Bonne nouvelle.

Lorsque seulement trois entreprises fabriquent environ 98% de ce qui est consommé dans le pays, les choses vont s’aggraver en cas de rappel. Le marché des préparations pour nourrissons n’est pas si rentable depuis que les taux de natalité ont chuté aux États-Unis. Lorsqu’un marché se rétrécit, il est difficile de trouver de nouveaux acteurs.

Ce n’est pas la première fois que les laits maternisés font la une des journaux internationaux. En 2008, la Chine a connu son propre scandale du lait maternisé pour nourrissons lorsque des milliers de tout-petits sont morts et ont été hospitalisés. Un grand fabricant avait choisi d’ajouter de la mélamine à son lait maternisé. Pendant des mois, tout a été caché au public car Pékin ne voulait pas de mauvaise publicité puisque la ville accueillait les Jeux olympiques d’été cette année-là. Cela est devenu l’un des scandales de sécurité alimentaire les plus importants de l’histoire.

Pour nous, au Canada, la situation pourrait être un peu différente. La dépendance au lait maternisé provenant des États-Unis est criante.

Santé Canada a temporairement autorisé l’importation au Canada d’autres marques du Royaume-Uni, d’Irlande et d’Allemagne. Cette mesure a rassuré de nombreux parents, mais vu le temps de transport, ces produits n’atteindront pas nos tablettes de sitôt. En effet, le lait maternisé consommés au Canada est importé, de sorte que tout contretemps à l’extérieur du Canada peut avoir une incidence sur nos approvisionnements, à tout moment.

Mais la plupart des Canadiens ne savent pas que le Canada a sur son territoire une grande usine de lait maternisé.

À Kingston, en Ontario, Canada Royal Milk, propriété de la chinoise Feihe International, a construit une usine en 2019.

Il s’agit de loin de la plus grande usine de lait maternisé au Canada, probablement la seule. Les gouvernements fédéral et ontariens ont partiellement subventionnés la construction de l’usine.

Cependant, tous ses produits sont renvoyés en Chine… tous! L’usine elle-même utilise du lait canadien de vache et de chèvre. Pour tout expert qui comprend le fonctionnement du secteur laitier canadien, c’est troublant.

Non seulement ce lait de vache est partiellement subventionné par les contribuables canadiens, mais les producteurs laitiers ont également des quotas coûteux sanctionnés par les gouvernements destinés à servir uniquement les Canadiens.

La gestion de l’offre est considérée comme l’une des politiques les plus protectionnistes de l’agriculture canadienne. Mais, dans le cas du lait maternisé, nous produisons exclusivement pour la Chine. Certains journalistes ont tenté de joindre l’entreprise à Kingston, à Ottawa, à Queens’ Park à Toronto. Ils ont même tenté de joindre les producteurs de lait de l’Ontario qui fournissent le lait pour l’usine. Mais personne n’ose dire quoi que ce soit, c’est le silence total. Quelque chose ne tourne pas rond.

Vendre en Chine n’est pas vraiment le problème. Après tout, la peur de la mélamine en Chine en 2008 a rendu les produits laitiers canadiens encore plus attrayants. Il est difficile de reprocher à une industrie de capitaliser sur une opportunité.

En fait, le lait vendu par Canada Royal Milk devrait être hors quota. Ou alors, l’usine doit désormais desservir le marché canadien.
D’ailleurs, selon Santé Canada, l’usine vient tout juste de leur déposer une application pour que leur produit puisse être vendu ici, plus de trois ans après son ouverture, mais elle est toujours incomplète.

En principe, cette usine devrait appartenir à des Canadiens pour tirer avantage d’opportunités commerciales à l’international, incluant en Chine. Les producteurs laitiers canadiens soutiennent depuis longtemps que nous ne pouvons pas expédier du lait à l’étranger et développer le marché asiatique. Plutôt que de le faire nous-mêmes, nous avons permis à une entreprise chinoise d’investir au Canada, uniquement pour expédier nos propres aliments en Chine. Pas fort!

Pour les consommateurs canadiens, avoir accès à du lait maternisé fabriqué au Canada serait également rassurant, mais les producteurs laitiers ne voient tout simplement pas le marché de cette façon.

C’est vraiment cela notre problème de lait maternisé.

Dr Sylvain Charlebois

Directeur principal
Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire
Université Dalhousie

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