Ça ne peut pas être sain d’être méprisé à longueur d’année. Comme les Acadiens le sont sous le gouvernement et le parti Higgs. L’outrage dont est coupable le gouvernement et le parti Higgs à l’égard de l’Acadie depuis cinq ans sera ce que l’histoire écrira au sujet du règne Higgs. Quoi d’autre?

En juin, lors de l’assemblée annuelle de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, la toujours intéressante Louise Blanchard, après avoir réagi au Québécois animant la table ronde qui lui demandait gauchement au sujet du «séparatisme» du Parti acadien – «holà, on voulait pas se séparer du Canada» -, elle a ajouté que, de nos jours, Higgs est le séparatiste.

Justement. Higgs gère comme si la province était déjà débarrassée des Acadiens, comme si les Acadiens, la Constitution canadienne et les lois provinciales n’existaient pas. Puisqu’il opère mieux dans un Nouveau-Brunswick anglophone, il fait comme si, sans trop de problèmes.

Son parti lui permet de penser ça. Le parti progressiste-conservateur n’a pas d’exigence linguistique pour ses chefs, et a des règles de course à la direction qui n’exigent pas que les candidats obtiennent un maximum d’appuis dans toutes les circonscriptions. Lors du congrès au leadership de 2016, Higgs n’a eu qu’à remplir la salle d’amis de Saint-Jean.

Lors de sa première campagne électorale comme chef en 2018, l’unilinguisme de Higgs a mené à l’annulation du débat à Radio-Canada. Les Acadiens n’ont pas eu de débat dans leur langue à la télévision publique, ce que le sociologue Mathieu Wade a décrit comme «un coup de maître de Higgs… Il a réussi, avant même d’être élu, à placer le français comme langue un peu marginale ou secondaire dans le débat public».

Le désintérêt de Higgs pour cette caractéristique du Nouveau-Brunswick, son bilinguisme, nous n’avions pas besoin d’une pandémie pour nous le montrer. Mais la pandémie nous a fait voir qu’il est extrême.

La première «règle de guerre» dans une pandémie est la bonne communication publique. Le premier ministre et la ministre de la Santé n’ont parlé qu’en anglais dès le début de pandémie. Il a dit aux journalistes de poser leurs questions en anglais et a refusé d’être accompagnés de porte-paroles francophones, même après que la Commission aux langues officielles ait déclaré, suivant une enquête grâce aux plaintes reçues des Acadiens, que le gouvernement contrevenait à la loi.

À la longue, Higgs daignera offrir l’interprétation simultanée, comme si on était des invités de l’étranger.

Lorsque des députés de l’opposition lui ont dit que les francophones ne reçoivent pas tous les renseignements au sujet de la pandémie lorsqu’il ne leur parle pas en français, Higgs a répondu que tout le monde a le droit de parler la langue de son choix. Ça c’est vrai pour les citoyens, surtout les anglophones de nos jours, mais un citoyen devenu premier ministre a des responsabilités envers les deux communautés linguistiques. C’est ce que rejette Higgs.

Quand un député s’est exprimé dans les deux langues à l’Assemblée, Higgs a qualifié ça de minable tactique politique «il change de langue et essaie de changer le récit».

En réalité, Higgs se prononce rarement sur l’Acadie et les Acadiens, à part de dire qu’on parle des dialectes. Il semble préférer dire les «gens du Nord» au lieu de francophones, comme si on n’était pas partout. Higgs dit qu’il ne gagne pas «dans le Nord» non pas parce qu’il n’accepte pas le Nord mais parce que le Nord ne l’accepte pas. Pauvre lui, et après tout ce qu’il fait pour se faire aimer.

Higgs a aussi dit qu’il y a des régions dans le Nord où nous voterions pour n’importe qui, même des abat-jours, s’ils sont du parti traditionnel. Se demande-t-il au moins ce qu’avaient les Hatfield, Lord, Alward, Robichaud, Gauvin et al qu’il n’a pas? On pourrait lui dire.

Higgs parle plus souvent du Québec que de l’Acadie. Il accuse le Québec de contribuer à la division du pays, dit que le Québec est «l’enfant chéri» de la fédération; c’est comme ça depuis toujours, que les milliards que le Québec reçoit en péréquation devraient être accompagnés d’obligations, notamment faire place à des projets énergétiques… et «reconnaître d’où la valeur de l’argent provient».

S’il ne faisait que nous ignorer, Higgs serait notre problème, notre croix à porter. Mais en raison de son antipathie pour nous et la francophonie, Higgs s’obstine souvent à prendre le mauvais bout du bâton des dossiers provinciaux.

Il y a cinq ou six ans, alors que Higgs venait d’être choisi comme chef du parti et cherchait à devenir premier ministre, le problème des ambulances qui ne répondaient pas adéquatement à l’appel faisait les manchettes. Higgs insistait que le problème était les exigences linguistiques. N’importe que d’autres provinces sans exigences linguistiques avaient les mêmes problèmes et que les responsables du service le contredisaient!

Lors de l’élection de 2018, qu’il gagnera, ce dossier et ses menteries seront bien en avant dans sa plateforme et une fois élu, il s’y acharnera, incitant tous les francophobes à déclarer solennellement qu’ils accepteraient d’être traité en français, eux, au lieu que pas du tout, serment facile parce qu’ils n’envisagent pas cette éventualité et utile parce que ça assure le statu quo. Higgs changera certaines règles afin de réduire l’offre en français, une promesse de la People’s Alliance. Éventuellement les solutions adoptées au problème des ambulances traitent des causes réelles et donc pas du bilinguisme. Mais des années ont été gaspillées à blâmer le bilinguisme au lieu de chercher les causes réelles.

Une même perte de perspective a été alimentée par Higgs autour de la question du budget en éducation: Le parti anti-bilinguisme People’s Alliance prétendait que la province ne pouvait se payer des autobus scolaires unilingues, et Higgs est toujours d’accord avec eux. Encore une perte de temps et un manque de leadership, qui n’aura servi qu’à mettre à mal l’harmonie linguistique.

Il fait flèche de tout bois pour viser le bilinguisme.

Le problème du nouvel examen d’admission à la profession d’infirmières, NCLEX-RN, qui a eu un impact néfaste sur le taux de réussite des étudiantes francophones en science infirmière, n’a jamais été résolu. Il y avait des pressions à exercer, de la mauvaise foi à dénoncer, des solutions à explorer, des étudiantes à protéger. Mais le gouvernement a agi comme s’il pouvait se passer de nouvelles infirmières, surtout francophones. Aussi bien dire «qu’elles s’en aillent au Québec si elles veulent du français». Ce qu’elles font.

La loi sur les langues officielles de la province dicte que cette loi doit être révisée tous les 10 ans. Une révision était due fin 2021. Higgs ne l’a pas fait. Il dit qu’il le fera quand il aura une minute.

Il est étonnant quand même qu’avec toutes les protections juridiques et constitutionnelles obtenues avec grande difficulté par les Acadiens ces dernières décennies, une personne, méprisante avec pouvoir, puisse nous malmener à ce point, même temporairement.

Enfin, reconnaissons que Higgs a réalisé une chose historique, l’absorption d’un grand parti au fier passé par le People’s Alliance, un ramassis de mécontents.

Rosella Melanson
Fredericton

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