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Relire la Sagouine
Il va de soi de rendre hommage à la grande artiste que fut Viola Léger comme interprète magistrale du chef-d’œuvre d’Antonine Maillet. On ne peut pas évoquer l’une sans l’autre, car sans l’auteure, il n’y aurait pas eu d’interprète, mais sans l’incarnation du personnage l’œuvre n’aurait pas eu le même impact. Le génie d’Antonine fut de confier ses monologues à une telle artiste.
On ne soulignera jamais assez le rôle d’ambassadrice de l’Acadie que fut celui de notre chère Viola. La brillante interprétation de son personnage restera une source de fierté pour son peuple qui revendique sa place dans la francophonie internationale.
Cependant, La Sagouine mérite une relecture. C’est plus qu’une performance théâtrale, c’est plus qu’un divertissement. C’est un texte qui a sa place parmi les grandes œuvres de revendication sociale de la littérature française. C’est un puissant plaidoyer contre les inégalités sociales.
C’est un appel à un plus grand respect envers les exclus et les classes défavorisées.
La Sagouine, fourbisseuse de plancher, a peut-être la face nouère et la peau craquée, mais elle a les mains propres, qu’elle travaille, en ville, dans la classe bourgeoise anglophone ou dans les studios de Radio Canada! Devant les agents du recensement, elle a raison de s’écrier, «mais où c’est don qu’on vit, nous autres, vous avez même pas notre nationalité dans votre grand livre!» Et son monologue sur la guerre… qui nous a sauvé la vie «parce qu’a nous a sortis du trou de la misère». Et la vente des bancs à l’église, à laquelle elle ne peut pas participer parce que sans le sou. Elle ne peut qu’y assister du jubé pour observer la petite classe bourgeoise de la paroisse s’entredéchirer. Et que dire de sa critique du «bondjieu et des vicaires»? On pourrait continuer longtemps sur la vie dans leurs cabanes «du bas de la track», sur l’abus que les femmes doivent subir en vendant leur corps au plus offrant, sur la faim et la mort prématurée des nouveaux-nés…
Ceci suffit pour montrer la profondeur de ce texte et sa puissance évocatrice qui vient des gens d’en bas, mais qui s’adresse aux gens d’en haut! Il y a partout, dans chaque communauté des gens «du bas de la track»!
Merci à notre duo Antonine et Viola. Votre œuvre rejoint l’universel et mérite d’être lue et relue.
Jean-Bernard Robichaud
Gatineau, Québec