Le mercredi 1er mars, je lisais la chronique de Rino Morin Rossignol dans l’Acadie Nouvelle intitulé L’Université et L’Acadie. C’est une lecture qui me laisse inquiet, non pas parce que je rejette son contenu, mais parce que l’analyse est squelettique à mon goût. Rino Morin Rossignol écrit: «On a voulu en faire une université de langue française, il est donc temps qu’elle assume à la face du monde que le temps est venu pour elle de sortir de son placard et s’affiche telle qu’elle est.»

Assumer ce que nous sommes et sortir de son placard peut sembler être un acte simple de progrès, sans complications ni réactions dans notre environnement. Nous ne manquons pas d’exemples pour illustrer que la vie n’est pas si simple. Pour ce qui est de ma participation, mon désir consiste à vous faire part de quelques-unes des complications que je perçois dans l’éventualité d’un changement de nom pour l’Université de Moncton.

Mais avant, je me permets de faire un court détour pour réagir face à cet immense besoin de sortir du placard. Dans cet acharnement à vouloir changer le nom de l’Université de Moncton, notre affirmation collective met en évidence l’énorme charge émotive qu’une sortie du placard permettrait de relâcher. J’en conviens. Toutefois, allons-nous passer à l’acte sans une bonne réflexion? C’est la partie qui m’inquiète, à savoir ce que seraient les retombées d’une telle libération hâtive. À l’heure actuelle, les avantages, ainsi que les risques ne me semblent pas analysés dans un contexte objectif avec méthode, expertise et ouverture.

J’entends récemment que les comparaisons à l’Université Ryerson sont lancées dans nos milieux. Cette université n’affichait pas le nom d’une municipalité dans son nom, comme c’est le cas pour notre université. Sur la base de cette seule différence entre le cas de Ryerson et le cas de notre université, nous devrions comprendre qu’une réflexion approfondie s’impose dans notre cas. Une telle réflexion nous permettra de parler des véritables enjeux, plutôt que de la popularité du geste.

L’U de M face à un nouveau nom

Université acadienne, Université de l’Acadie, etc. Quel soulagement pour les émotions liées à un besoin d’affirmation! De mon côté, je demeure inquiet sans soulagement pour l’instant. Cela me préoccupe de penser à l’Université Sainte-Anne et à la communauté acadienne de la Nouvelle-Écosse à la suite d’un tel changement de nom. J’y vois de la condescendance de notre part, pour ne pas dire de l’indifférence totale face à la communauté acadienne de la Nouvelle-Écosse et envers son université, elle aussi acadienne. Notre collectivité a déjà vécu une telle indifférence de la part de nos voisins québécois lorsqu’ils oubliaient les communautés francophones et acadiennes dans leur démarche d’affirmation. Cette affirmation des francophones du Québec a semé la division au sein de la grande communauté francophone du Canada, effets qui se font encore sentir aujourd’hui.

L’Université pourrait-elle porter l’affirmation de son acadienneté en utilisant un autre symbole que le vocable «acadienne» ou «de l’Acadie» dans son nom?

Depuis que j’entends les discussions sur le sujet, je n’ai jamais noté un intérêt significatif pour une telle option, ne serait-ce que pour entretenir une courte réflexion sur cette possibilité.

Pensons aussi aux nombreuses représentations mentales que les anglophones de notre région, du Canada et du monde pourront relever en parlant de nous. Ils pourront se référer à notre université avec des expressions telles que «that Acadian University of Moncton… not that one in Nova Scotia» (une référence à Acadia University à Wolfvile).

L’Université de Moncton et la région de Moncton

L’Université s’est intégrée dans la ville de Moncton de multiples façons. Avant sa création, l’Université Saint-Joseph y avait déjà transféré certains de ses programmes. Vint ensuite la Commission John J. Deutsch, créée par le gouvernement de l’Honorable Louis J. Robichaud, qui a recommandé une réorganisation des universités et des collèges, dits classiques, dans la province. (La commission avait un mandat qui s’appliquait à la fois aux institutions francophones et anglophones.)

La commission a recommandé, entre autres, qu’une université francophone soit créée à Moncton et que la University of New Brunswick crée un campus à Saint-Jean.

À la suite des recommandations, de nombreux efforts ont été déployés dans le camp francophone. La tâche était délicate pour de nombreuses raisons dont l’existence d’un terrain fertile pour une université anglophone à Moncton.

Ce faisant, le nom Université de Moncton a été choisi. Aujourd’hui, comme nous le fait remarquer Rino Morin-Rossignol, les choses ont bien changé.

Oui, mais de quelle façon?

Certains croient que les appréhensions des francophones entourant la création d’une université à Moncton qui ne soit pas francophone ne valent plus. Je suis d’un autre avis. Il en a coûté beaucoup à l’Université pour s’implanter à Moncton. Par son impact économique, elle a pu tisser bien des liens importants avec la ville. Un résultat bien visible aujourd’hui est celui du Stade Croix Bleue Medavie construit à la suite d’une entente entre la Ville de Moncton et l’Université de Moncton, en octobre 2018.

Il en aura fallu 55 années pour en arriver jusque-là.

En abandonnant le nom «Moncton» dans le nom de l’Université, je m’inquiète qu’on ouvre une boîte de pandore. Vous me direz que le risque évalué en 1963 n’existe plus. Voyons un peu. La plus récente nouvelle que je connaisse à ce sujet est que le Oulton College de Moncton s’agrandit à vue d’œil avec une nouvelle construction. De plus, ce collège a déjà soumis et obtenu une désignation conditionnelle du gouvernement du Nouveau-Brunswick pour la création d’un programme de quatre ans en sciences infirmières (voir Acadie Nouvelle du 2 mars, page 3).

L’avenir de ce collège semble s’appuyer sur des objectifs ambitieux. Bien qu’il soit de mise que les autres institutions postsecondaires de la ville veuillent se développer, il en reste que l’Université de Moncton doit avoir une vision prudente dans son analyse d’un changement de nom étant donné l’entourage dans lequel elle évolue.

Et que dire de l’Université Crandall? Elle a déjà changé de nom une fois. Si l’Université de Moncton se départit du nom de la ville, ce nom sera disponible pour toute institution d’études postsecondaires intéressée par les avantages qui y sont rattachés.

Moi, je reste sur mes gardes. Ce que l’Université de Moncton a réussi à accomplir en termes de relations avec la Ville de Moncton dans les premières décennies de son existence et la collaboration qui s’y est installée par la suite mérite réflexion.

La peur contre l’affirmation

Moi je suis inquiet. J’ai fait mon choix. Mon sentiment, voire mon émotivité liée à la fierté de voir notre université porter hautement le nom de notre identité intrinsèque et collective est actuellement mis de côté pour faire place à la réflexion. Les circonstances actuelles créent un engouement pour le changement. La popularité initiale de la demande de changement de nom risque d’obnubiler la réflexion et d’en faire un concours de popularité. J’implore les personnes qui trancheront la question à faire une réflexion profonde et exhaustive à la fois avant d’annoncer une décision.

Je souhaite qu’une telle réflexion analyse les avantages et les risques associés à un changement de nom, en tenant compte des spécificités, et qu’elle soit une occasion pour la collectivité acadienne d’en discuter avec vision.

Léandre Desjardins, PhD
Professeur émérite de psychologie (à la retraite)
Grand-Barachois

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